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                                                                      Du Guesclin, l'épée de la France  

 

       

 

18 juin 1359. Depuis trois ans, le roi Jean II le Bon est prisonnier des Anglais. En son absence son fils, le Dauphin Charles, continue le combat.  Ce jours-là, il a mis le siège devant Melun, mais la ville est bien défendue : écrasés sous les pierres, inondés d'huile bouillante, les assaillants refluent en désordre. Seul un homme, grimpant sur une échelle, poursuit l'assaut : c'est du Guesclin. Mais l'échelle se brise, il fait une chute effrayante et reste au sol, inanimé. On l'emmène à l'abri et, pour le ranimer, on le plonge dans un tas de fumier ! A peine a-t-il repris conscience, que le Dauphin Charles est devant lui. Étrange face-à-face - entre ce rude soldat approchant de la quarantaine, et le jeune prince d'à peine vingt ans, aussi frêle que grave. Et pourtant, cette rencontre sera décisive. Bientôt, l'un sera roi et l'autre son connétable ; ensemble, ils mettront la France sur la voie de sa libération...La famille du Guesclin est, au XIVe siècle, une des plus anciennes et des plus illustres de la Bretagne "gallo", c'est-à-dire francophone. Elle prétend descendre d'un roi sarrasin, Akim, vaincu et rejeté en Bretagne par Charlemagne ; il se serait alors installé dans le château du Glay, d'où le nom "du Glay-Akim", du Guesclin.Bertrand, qui naît vers 1320, à la Motte-Broons, près de Dinan, est l'aîné des dix enfants de Robert du Guesclin et de Jeanne Malemains. Robert du Guesclin appartient à la branche cadette de la famille. Si la branche aînée, qui occupe le château du Plessis-Bertrand, est aussi riche que puissante, il n'est, quand à lui, qu'un tout petit seigneur. Le manoir de la Motte-Broons n'a rien d'une forteresse. Il ressemble plutôt à une ferme, grosse bâtisse aux murs épais, sans vitres aux fenêtres, glaciale en hiver ; seuls un colombier et deux tourelles le distinguent des habitations paysannes.Les dames de la noblesse n'allaitant pas, Bertrand est placé en nourrice chez des paysans : comme ses frères et sœurs de lait, il couche au milieu des porcs et des vaches, au risque d'être dévoré ou étouffé (il n'est pas rare à l'époque de pendre des truies coupables d'avoir mangé des enfants). Il est laid ; et même affreux : les yeux d'un mauvais vert, le teint terreux, les cheveux crépus, le nez camus, le corps épais, la démarche gauche... Et si l'allure physique est grotesque, le caractère est plus rude encore ! Intraitable, le jeune Bertrand est même franchement insupportable, ce qui n'améliore pas ses rapports avec sa mère : femme d'une grande beauté, Jeanne Malemains ne peut admettre qu'elle ait pu donner le jour à un tel monstre, aussi le rejette-elle dès sa naissance !Cette répulsion ne fait qu'augmenter, jusqu'au jour de l'Annonciation, où Jeanne festoie avec ses deux cadets Guillaume et Olivier ; elle a sorti la vaisselle d'apparat, fait préparer un chapon fin et le sert elle-même. Pendant c temps, Bertrand -il a environ six ans- est relégué dans un coin de la pièce avec un croûton de pain ! Soudain, il se lève et va vers ses cadets, les poings serrés : " Est-ce à vous de manger les premiers ? Rendez-moi ma place, je suis votre aîné ! " Les deux enfants s'enfuient en tremblant, et lui se jette sur les plats comme un affamé ! Sa mère menace de le frapper s'il ne s'en va pas. Il se dresse brusquement et, d'un geste d'une violence inouïe, renverse la lourde table. Une religieuse, juive convertie, versée dans la chiromancie, arrive à ce moment. Bertrand s'est réfugié dans un coin, menaçant tout le monde d'un bâton. Elle parvient à le désarmer, étudie sa main et rend son verdict : " Les fleurs de lis le combleront de tant d'honneurs qu'on parlera de lui jusqu'à Jérusalem"... Ébranlée, Jeanne Malemains s'incline. De ce jour, Bertrand sera traité avec les égards dus à l'aîné.Cela ne l'empêche pas, en grandissant, de se comporter comme le pire des garnements. Il fréquente à peine l'école de la paroisse : il ne saura jamais ni lire ni écrire. Ses seules distractions sont les bagarres. Il divise les garçons de Broons en bandes rivales, les regarde s'affronter et , lorsque l'une a le dessous, se met de son côté. Ensuite, il emmène tout le monde à la taverne et offre une tournée générale sur le compte de ses parents ! Son père a beau intervenir, et interdire aux paysans de la seigneurie de laisser leurs enfants jouer avec Bertrand sous peine de cent sols d'amende, ce dernier va les chercher lui-même pour les enrôler de force ! Robert du Guesclin emploie alors les grands moyens : il enferme Bertrand dans une tour du manoir. Peine perdue : à chaque libération, celui-ci récidive. Au quatrième internement, il a environ dix-sept ans et décide, cette fois, de s'échapper pour de bon. Il arrache la clé à la chambrière chargée de lui apporter à manger, l'enferme à sa place et s'enfuit dans la campagne... Il arrive à rennes, chez son oncle paternel qui l'accueille avec indulgence et le garde sous son toit. Le dimanche suivant, un concours de lutte a lieu sur la place principale. Il est réservé aux gens du peuple. Bertrand brûle d'y participer : il accompagne sa tante à la messe et s'éclipse discrètement pendant le sermon ! Le concours se termine. Un costaud de village vient de terrasser douze adversaires d'affilée. Plus jeune et plus petit que le champion, Bertrand relève le défi. Il fait ployer son adversaire par sa seule étreinte et l'abat à terre. Tombant avec lui, il se blesse profondément au genou. Il est vainqueur, mais il s'en faut de peu que sa tante, le retrouvant dans cet état, ne le renvoie sur-le-champ. Elle lui fait promettre, en tout cas, de ne plus se battre qu'avec des gentilshommes. Bertrand ne demande que cela. Le 4 juin 1337, Jeanne de Penthièvre, héritière du duché de Bretagne, donne à Rennes un grand tournoi en l'honneur de son mariage avec Charles de Blois. Pour y participer, les chevaliers sont venus de toute la Bretagne, de France et même de l'étranger. Bertrand, qui n'a pour tout équipement qu'un cheval de labour, les voit, la mort dans l'âme, rompre des lances sous les yeux admiratifs des dames. Il aperçoit même son père, auquel il se garde bien de se montrer. Mais un de ses cousins quitte la lice, après avoir été défait, et lui prête de bonne grâce son cheval, son armure et ses armes.Froissart témoin de son tempsLe plus célèbre chroniqueur du Moyen age est né à Valenciennes, en 1337. Destiné à l'Église, il devient chanoine... mais ne pense qu'à courir le monde. Il commence sa carrière littéraire grâce à la reine d'Angleterre, Philippa de Hainaut, qui le prend sous sa protection. Il visite l'Écosse, l'Aquitaine, la Flandre et la Bretagne, où il récolte les nombreuses anecdotes qui émaillent ses Chroniques et les rendent merveilleusement vivantes. A la mort de sa protectrice, en 1373, il se fixe quelques temps à Lestine, comme curé de campagne. Mais la vie tranquillene lui plaît pas. Il préfère les voyages, même hasardeux, et la fréquentation des grands seigneurs dont il excelle à dépeindre les mœurs raffinées et brutales. Il séjourne alors à la cour du comte de Blois, dont il est le chapelain, puis à Orthez, auprès du célèbre Gaston de Foix, dit Gaston Phoebus.  C'est à Chimay, où il est chanoine, qu'il se retire enfin pour achever une oeuvre foisonnante, irremplaçable témoignage des luttes qui déchirent la France, l'Angleterre et la Flandre au XIVe siècle. Bertrand ne porte aucun blason, ce qui provoque un remous de curiosité ; un chevalier le défie aussitôt : à la première reprise, son cheval est tué et il mord la poussière. admiratif, le vaincu lui demande son nom ; il s'entend répondre : "Celui qui veut le savoir n'a qu'a me retirer ma visière ! "Les champions  se précipitent pour le défi : il en défait dix de suite. Paraît alors son père Robert : Bertrand baisse sa lance en signe de soumission. On croit qu'épuisé, il rend les armes. un nouveau chevalier en profite pour le défier : il est pulvérisé. C'est seulement le seizième, un Allemand, qui parvient à faire sauter sa visière. On découvre le visage noiraud de Bertrand. Ému et fier, son père oublie le passé et promet de l'armer aussi dignement qu'il le pourra.Du Guesclin va bientôt avoir l'occasion de se battre, car le temps des guerres commence. A la Toussaint 1337, le roi d'Angleterre Édouard III lance un défi au roi de France. C'est le début de la guerre de Cent ans. En avril 1341, le duc de Bretagne, Jean III, meurt. Sa nièce Jeanne de Penthièvre doit lui succéder, elle-même cédant son titre à son mari Charles de Blois. Mais contre toute attente, son oncle, Jean de Montfort, revendique l'héritage. Les Bretons se divisent en deux camps et le conflit s'internationalise, le roi d'Angleterre prenant position pour Jean de Montfort et celui de France pour Jeanne de Penthièvre. La guerre de succession de Bretagne vient de commencer. Et les du Guesclin, comme tous les chevaliers gallo, se rangent dans le parti de Charles de Blois. Mais un an après le désastre de Crécy (où les archers anglais mettent les chevaliers français en déroute), les Anglais occupent le duché de Bretagne et imposent leur rêve. Pour Bertrand cependant, le combat continue. Qu'importe la trêve signée : il ne fera plus la guerre en soldat mais en partisan !Ses exploits commencent sous le signe du merveilleux. Après avoir constitué une bande, il s'installe dans la forêt de Paimpont, toute proche, et qui n'est autre que la légendaire forêt de Brocéliande ! Dès lors, mille récits circulent sur ; il devient une sorte de Robin des Bois français. Il décide ainsi de s'emparer de la place forte anglaise de Fougeray. Comme il a peu de moyens, il lui faut recourir à la ruse. Ayant appris que la garnison attend une livraison de bois, il prend avec lui trente de ses hommes les plus résolus et se présente devant le pont-levis. Courbés sous des fagots, dans lesquels ils ont dissimulé leurs armes, ils sont déguisés en bûcherons et certains, même, en paysannes. La garde les laisse passer sans méfiance et, une fois dans la place, ils font entrer le reste de la troupe, et se lance à l'assaut. Fougeray est pris. Il n'est pas alors, et de loin, le seul chef opérant en Bretagne. De ces bandes, ramassis de brigands, qu'on appelle les compagnies, il en a partout en France.  Ce sont des soldats démobilisés par la trêve, anglais aussi bien que français et qui pillent et tuent dans tout le pays. En apparence, Bertrand du Guesclin n'agit pas autrement ; mais il n'attaque que les Anglais et les gens de Montfort, à l'exclusion de tous ceux de son parti. Il ne dévalise pas les voyageurs, il se bat contre l'occupant.le temps des deuils familiaux arrive. Tandis que son fils aîné est au loin dans la forêt, Jeanne Malemains meut, en juin 1350 (la même année que le roi de France auquel succède son fils Jean le Bon ) ; deux ans plus tard, son mari, Robert, la suit dans la tombe. Bertrand quitte ses cachettes pour venir prendre possession de son domaine.La région de la Motte-Broons est alors placée sous les ordres du maréchal de France, Arnoult d'Audrehem, qui s'installe à Pontorson. Audrehem est de petite noblesse, comme Bertrand, et ne doit son titre qu"à sa seule bravoure : des relations amicales se créent vite entre les deux hommes. Le 10 avril 1354, les anglais tentent d'enlever par surprise le maréchal. Mais du Guesclin a placé des archers en sentinelles et se rue à l'attaque avec une telle impétuosité qu'il met l'ennemi en déroute. Les Anglais ne laissent pas moins de cent prisonniers.Émerveillé par sa bravoure, un chevalier du pays de Caux, Eslastres de Marès, décide de le faire chevalier sur le champ. Du Guesclin choisit alors son cri de guerre et sa devise : "Notre-Dame Guesclin ! " Il a plus de trente ans.Pour délivrer son frère, il livre un terrible duel. 1356 : du Guesclin est à Pontorson, quand le duc de Lancastre, frère du roi d'Angleterre, vient mettre le siège  devant Rennes. Le but des Anglais (qui viennent d'écraser les Français à Poitiers) est clair : Après avoir mis les France à genou, ils veulent frapper lecoup final contre la Bretagne. Apprenant trop tard la nouvelle, Bertrand n'a pas le temps de s'enfermer dans Rennes avec les défenseurs, mais à la tête d'une petite troupe, il harcèle les arrières des assiégeants. Le siège de Rennes s'éternisant, Lancastre vient investir Dinan. Les habitants demandent une trêve, qui leur est accordée. Pourtant, un chevalier anglais, Guillaume de Cantorbéry, viole cet accord en capturant... Olivier du Guesclin, le jeune frère de Bertrand ! Bertrand bondit à Dinan, va trouver le duc de Lancastre dans sa tente et lui réclame son frère, fait prisonnier malgré la trêve et la foi jurée. Cantorbéry, convoqué par le duc, refuse avec dédain. Un duel est décidé aussitôt. Au jour dit, les portes de Dinan s'ouvrent pour laisser entrer le duc de Lancastre, accompagné de vingt de ses chevaliers. Parmi la foule, chacun remarque une jeune fille d'une grande beauté et d'illustre naissance, Tiphaine Raguenel. Blonde, gracieuse, elle a des allure de fée, ce qui ne l'empêche pas d'être fort savante et, de plus, prophétesse. Aussi est-ce avec soulagement qu'on l'entend prédire la victoire de du Guesclin. Le combat singulier est furieux. Il faut que le duc de Lancastre intervienne pour que Bertrand ne tue pas son adversaire ! Olivier du Guesclin est libéré, avec mille livres de dédommagement ; Bertrand reçoit une rançon du vaincu, qui est banni de l'armée anglaise. la garnison de Dinan  offre ensuite un vin d'honneur aux Anglais, qui ressortent pour continuer le siège...Lancastre revient devant Rennes. Et du Guesclin l'y suit. A la faveur d'une diversion, il parvient à piller le camp des assiégeants et à rentrer dans la ville avec  cent charrettes de viande et de vin. Ce nouvel exploit, faisant suite au duel de Dinan, rend son nom célèbre dans toute la Bretagne, d'autant qu'une trêve nationale venant d'être signée, le duc de Lancastre doit bientôt lever le siège de Rennes. Du Guesclin revient à Pontorson, dont il est nommé capitaine avec, sous ses ordres, soixante hommes d'armes et soixante archers mais aussi la place la plus forte de France, le Mont-Saint-Michel.Terreur des chefs de bande, il devient le héros du peuple   C'est en cette période trouble et tragique que le dauphin Charles (qui remplace son père Jean le Bon prisonnier en Angleterre) convoque ses principaux chevaliers pour mettre le siège devant Melun. Les opérations commencent le 18 juin 1359 : ce jour-là, le futur Charles V et du Guesclin se rencontrent pour la première fois... De retour en Bretagne, du Guesclin attaque Guillaume de Windsor, envoyé d'Édouard III dans le duché. Après un combat furieux, Windsor est pris. Le retentissement est énorme et la déconvenue sévère pour le roi d'Angleterre.Mais la fortune des armes est capricieuse. Peu après, Bertrand est fait prisonnier lui-même par le capitaine anglais Robert Knolles. Lorsqu'il est libéré, la paix a été signée à Brétigny et les soldats démobilisés, transformés en brigands, se multiplient dans le pays. Du Guesclin reçoit mission de les réduire. C'est une tâche ingrate, monotone : il met le siège devant une forteresse, puis devant une autre ; tantôt il l'enlève de vive force, tantôt il achète sa reddition.Il pacifie ainsi des régions entières du comté d'Alençon, du Perche, du Maine, de l'Anjou et de la Normandie. Ces actions incessantes lui apportent un immense prestige populaire.Un nouveau revers l'attend pourtant. Début 1361, lors d'un violent engagement au pont de Juigné, sur la Sarthe, il est fait, une seconde fois prisonnier. Sa rançon est fixée à trente mille écus, une somme bien supérieure à celle d'un simple chevalier, même capitaine de Pontorson et du Mont-Saint-Michel ! Le roi paie lui-même la rançon, à la fin de l'année.Le dauphin Charles lui donne peu après le château de la Roche-Tesson, grand domaine qui lui apporte tout à coup la richesse. Bertrand du Guesclin est désormais chevalier banneret, c'est-à-dire qu'il a le droit d'enrôler sous sa bannière des chevaliers de moindre importance. Terreur des chefs de bande et bénédiction des populations, il mène de front les campagnes en Bretagne contre les partisans de Montfort, et en France contre les compagnies.Il n'a cependant pas oublié la jolie devineresse qui avait assisté à son combat singulier à Dinan. De passage dans cette ville, il la retrouve et décide de l'épouser. Charles de Blois s'empresse de donner son consentement à cette alliance entre l'illustre militaire et la fille d'une des plus anciennes familles bretonnes. La noce a lieu à Vitré à l'automne 1363. Il y a quelque chose de merveilleux, presque magique dans cette union entre le guerrier illettré et la resplendissante créature. Car l'amour sera au rendez-vous. Et Tiphaine s'enfermera au Mont-saint-Michel pendant les longues campagnes de son mari. La seule ombre sera l'absence d'enfant...En plein hiver 1363, le plus froid du siècle, du Guesclin reçoit l'ordre d'attaquer un nouvel ennemi mortel de la couronne de France, Charles le Mauvais, roi de Navarre ; le Breton attaque ses positions autour de Bayeux. La campagne de 1364 est décisive. S'il échoue devant Rolleboise, du Guesclin s'empare successivement de Mantes et de Meulan, deux places de la région parisienne tenues par le roi de Navarre. Pourla prise de Meulan, le 7 avril, Bertrand renoue avec ses anciennes ruses, du temps où il était chef de partisans.Au petit matin, il arrive devant la ville avec trente de ses hommes déguisés en paysans, une charrette remplie de lourdes pierres et un troupeau de moutons. La charrette est destinée à rester sur le pont-levis et à empêcher de se relever, les moutons sont là pour gêner les mouvements des défenseurs. Tout se passe comme prévu. Au moment voulu, les faux paysans sortent leurs armes, taillent en pièce les premiers gardes, tandis que le gros de la troupe, caché un peu plus loin, fait irruption et enlève la ville. Quand à Mantes, la cité se rend le lendemain sans combat, effrayée par cet exemple... C'est alors qu'ils tiennent garnison dans la ville, que du Guesclin et les siens apprennent la mort de Jean le Bon. Désormais le roi de France est Charles V, prince sage et mesuré.Du Guesclin veut en finir avec le roi de Navarre. Il rejoint ses troupes à Cocherel, le 16 mai. L'ennemi est sur la colline, bien décidé à ne pas quitter cette position favorable. Du Guesclin se poste dans la plaine et attend. de guerre lasse, il donne le signal de la retraite. Les Navarrais commettent alors l'imprudence de le poursuivre : il fait demi-tour et les écrase. La nouvelle de la victoire parvient à Charles V à Reims, le jour même de son sacre. cette fois, du Guesclin a remporté une "vrai" bataille ; il n'est plus un chef de bande audacieux, mais le plus grand capitaine du pays.Prisonnier, il fixe ui-même sa fabuleuse rançon. En Bretagne, la La bataille s'engage. Du Guesclin et ses hommes font plier leurs adversaires direct, mais le reste de l'armée de Blois cède. C'est bientôt la déroute et Charles de Blois est tué, tandis que Bertrand est fait de nouveau prisonnier. Cette fois la guerre de succession de Bretagne est terminée, Montfort est vainqueur. Du Guesclin en a la mort dans l'âme, mais d'autres tâches l'attendent. Sa rançon est fixée à cent mille florins d'or : sa renommée s'est encore accrue...Une fois encore le roi de France paie pour sa libération. Puis il lui confie une mission en apparence impossible : débarrasser définitivement la France des compagnies en les emmenant combattre en Espagne. Prévenues par les messagers royaux, toutes les compagnies se réunissent à Châlon où du Guesclin les rejoint. Nul autre que lui ne peut réussir dans cette tâche. Il connaît les gens du peuple. Il sait comment leur parler,  il sait comment ils sont faits et, d'une certaine manière, il est fait comme eux. Tout se passe d'abord comme prévu : du Guesclin entraîne les compagnies en Espagne. Mais après quelques combats victorieux aux côtés du prétendant au trône de Castille, Henri de Trastamare, il se heurte au Prince Noir, héritier du trône d'Angleterre et vainqueur de Poitiers. L'affrontement a lieu a Najéra, le 3 avril 1367. C'est une lourde défaite pour le Breton, dont les troupes sont décimées et qui est, lui-même, fait prisonnier pour la quatrième fois. D'une certaine manière, il a pourtant réussi sa mission : les compagnies n'existent plus. Mais il est emmené prisonnier à Bordeaux.L'usage féodal veut qu'on libère les chevaliers contre rançon. Quelquefois même, on les laisse partir tout de suite contre la promesse de s'en acquitter. Mais le Prince Noir rend la liberté à tous ses prisonniers sauf à du Guesclin. Tant pis pour l'honneur féodal : le capitaine breton représente un trop grand un trop grand danger pour l'Angleterre. Il restera donc en prison ! Mais la cour du prince finit par s'indigner de ce manque aux usages. Au bout de près d'un an de détention, le Prince Noir ordonne qu'on fasse venir le Breton. Celui-ci apparaît bientôt entre deux gardes, rendu plus hideux encore par sa détention. «Alors, Messire Bertrand, comment trouvez-vous notre hospitalité ? » lui lance l'Anglais. « Assez bonne, Sire sauf qu'elle comporte trop de souris et pas assez d'oiseaux... »Surmontant sa colère, le Prince Noir lui demande alors de fixer lui-même sa rançon et s'entend répondre : « Cent mille doubles d'or » ! C'est unesomme fabuleuse, digne d'un prince de sang.« Vous vous moquez de moi, Messire ! Comment un pauvre chevalier breton pourrait-il trouver pareille rançon ?»« Sire, le roi de France en paiera la moitié et le roi de Castille l'autre moitié. Et s'ils ne le veulent pas, toutes les femmes de France sachant filer s'useront  les doigts pour ma délivrance ! »La rançon ne sera pas versée par les fileuses de France, mais par le roi, le pape, Jeanne de Penthièvre et d'autres seigneurs bretons. Quant à la réplique, elle demeurera à jamais célèbre. Il devient roi de Grenade Libéré, Bertrand du Guesclin ne prend pas la direction de la France, où Henri deTrastamare l'appelle de nouveau à l'aide. L'arrivée du Breton est suffisamment efficace pour que, dès le début de mars 1369, Henri de Castille le nomme alors roi de Grenade. Bien sûr, son « royaume » est aux mains des musulmans et il doit le leur prendre, mais n'est-ce pas le plus bel exploit dont puisse se rendre capable un chevalier chrétien !Le Breton en a la tête tournée, pour la première fois de sa vie. A tel point qu'il refuse d'écouter les messages de Charles V, qui le presse de revenir en France, où la guerre est sur le point de reprendre avec les Anglais. Grisé par la chimère d'une impossible croisade, il tente d'entraîner la médiocre armée castillane à l'assaut de Grenade... Il se reprend vite : et en juillet 1370, avec ce qui lui reste de son armée, des chevaliers bretons pour la plupart, il reprend le chemin de la France...En France, les combats font rage : les Anglais ravagent le pays, mais sans obtenir de résultat, car la consigne de Charles V est de ne pas leur livrer combat. Du Guesclin arrive à Paris le 2 octobre 1370. Charles V le reçoit dans son palais et lui tend l'épée à poignée d'or et fourreau de velours bleu semé de fleurs de lys, l'épée de connétable de France ! Bertrand refuse d'abord un honneur qui n'a jamais été accordé qu'aux membres de la plus haute noblesse : « Sire, je ne suis qu'un pauvre chevalier breton. Je vois ici vos frère et vos neveux. Comment oserais-je leur commander ? » Mais Charles est inébranlable : « Messire Bertrand, je n'ai ni frère ni neveu qui ne vous obéisse si je l'ai décidé. Prenez l'épée, je ne la donnerai à personne d'autre... » Quelques jours plus tard, Bertrand du Guesclin prête serment, et devient connétable de France, c'est-à-dire chef de toutes les armées. Pour lui, ce n'est pasune fonction honorifique. Il quitte aussitôt Paris pour attaquer les anglais, et, le 3 décembre, en pleine nuit, sous une pluie battante, il écrase les troupes du maréchal d'Angleterre, à Pontvillain.après une année d'arrêt des hostilités, pendant laquelle il rejoint enfin sa femme Tiphaine au Mont-Saint-Michel, les combats reprennent en 1372. Du Guesclin part pour le Poitou et, le 7 juillet, prend la ville de Poitiers, symbole de l'humiliation de la chevalerie française : nulle revanche ne pouvait être plus éclatante ! Cette joie est pourtant assombrie par une terrible nouvelle : Tiphaine vient de mourir. Désespéré, Bertrand ne s'en jette qu'avec plus de rage dans les combats. Il conquiert le reste du Poitou, l'Aunis, la Saintonge et revient à Paris, auréolé de gloire. L'année suivante est sans doute la plus sombres de toutes. Le 25 juin 1373, le duc de Lancastre débarque à Calais avec quinze mille hommes et vingt-cinq mille chevaux. Son intention et de livrer bataille comme jadis à Crécy et à Poitiers. Mais du Guesclin s'y oppose. Dans un conseil, auquel il participe, autour du roi, avec les grands dignitaires du royaume, il fait triompher son point de vue : « Mieux vaut terre pillée que perdue... »L'armée de du Guesclin suivra donc celle de Lancastre à distance, exterminant les traînards. Le bilan humain est effroyable : les Anglais ravagent tout sur leur passage, faisant des dizaines de milliers de victimes dans la population. Ils dévastent ainsi successivement l'Artois, la Picardie, le Vermandois, la Champagne, le Nivernais, le Limousin, pour revenir à Bordeaux à la fin de l'année. Mais c'est une armée moribonde qui rentre en Angleterre, sans avoir obtenu le moindre succès et après avoir perdu plus de la moitié de ses hommes et la presque totalité de ses chevaux. Les deux pays, exténués, signent une trêve d'un an, jusqu'en juillet 1376. Le roi Charles mène à bien un projet d'ordre privé : remarier son connétable, et lui faire épouser une descendante de la plus haute noblesse afin de le hisser à une condition en rapport avec sa fonction. Le sire de Laval s'empresse de proposer sa fille, Marie. Bertrand a environ cinquante ans. Ses cheveux noirs sont devenus gris, il est couvert de rides et Marie n'a que seize ans. Leur mariage est célébré en grande pompe à rennes le 21 janvier 1374. Malheureusement, tout comme avec Thiphaine, Bertrand n'aura pas d'enfant. Tandis qu'en un an, le Prince Noir, puis son père Édouard III d'Angleterre, meurent, du Guesclin est chargé de conquérir les ultimes places ennemies en France. En 1377, il conduit une campagne triomphale en Bordelais. En 12378, il s'empare des deux fiefs de Charles le Mauvais : le comté d'Évreux et le Cotentin. Désormais le roi n'a plus qu'un ennemi en France : le duc de Bretagne. Et l'occasion n'a jamais été meilleure de l'abattre. Jean de Montfort s'est, en effet, rendu odieux à tous ses sujets en menant une politique outrageusement anglophile. Il a donné les principaux châteaux de son duché à des Anglais ; il a participé à la chevauchée de Lancastre ; il réside à Londres. Même ses partisans les plus fidèles se détournent de lui. Le 9 décembre 1378, Charles V provoque Jean de Montfort devant le Parlement, afin qu'il y réponde de l'accusation de trahison. Ce dernier ne se présentant pas, il rend son verdict. Tout le monde s'attend à ce qu'il attribue le duché à Jeanne de Penthièvre. Mais le roi sage commet alors la première erreur de son règne : le duché est réuni à la couronne de France, la Bretagne cesse d'exister ! Dans toute la province, c'est l'indignation. Le duc détesté retrouve une popularité inespérée. Lorsque Jean de Montfort débarque à Saint-Malo, le 3 avril 1379, la population l'acclame et Jeanne de Penthièvre lui rend hommage à genou. Elle préfère encore son mortel ennemi au rattachement à la France ! Charles V s'entête. Il charge ses deux principaux chefs militaires, le connétable et Olivier de Clisson, de mater la révolte. Par une cruelle ironie du sort, ils sont bretons tous les deux. Ils le supplient de renoncer, mais le roi est inflexible : du Guesclin mettre le siège devant Rennes et Clisson devant Nantes. Ils obéissent la mort dans l'âme. Les deux siège s'éternisent sans qu'aucun combat soit livré, car un tel ordre ne serait pas obéi. Bertrand songe même un instant à rendre son épée de connétable et à repartir pour l'Espagne conquérir Grenade.Il est enterré à Saint-Denis auprès des rois de FranceEn avril 1380, Charles V se rend enfin compte de son erreur et fait lever le siège. Il charge du Guesclin de s'emparer de Chaliers et Châteauneuf-de-Randon, deux forteresses du Gévaudan, encore tenues par des Chefs de compagnies. Du Guesclin quitte la Bretagne avec soulagement. Mais c'est un homme usé physiquement et moralement... Il prend Chaliers sans difficulté, mais arrivé devant Châteauneuf-de-Randon, il sent ses forces l'abandonner. La place est au sommet d'une longue falaise de roches noires. Il est pris de fièvre et doit s'aliter. Le chef des assièges accepte de se rendre s'il n'a pas été secouru avant le 13 juillet. Bertrand du Guesclin tiendra jusqu'à cette date, pas plus. Le vendredi 13 , à midi, il sent sa fin imminente. Il fait transporter son lit hors de sa tente pour que chacun le voit. Il commence : "Je recommande au roi ma femme, mon frère..." Mais il s'arrête : "Adieu, je n'en puis plus..." Un médecin se penche sur lui. Il est mort. Il est midi. C'est sur son corps que, peu après, les défenseurs viennent déposer les clés de la ville...Du Guesclin aura l'insigne honneur d'être enterré à Saint-Denis, auprès des rois de France, où Charles V le rejoindra, deux mois plus tard...Physiquement et moralement, tout l'a opposé aux chevaliers de son temps, égoïstes et querelleurs. Lui, a été un professionnel de la guerre, un soldat. Il s'est battu non pour la gloire, mais pour vaincre, et par patriotisme. Il a été la première incarnation du sentiment national français. Près de cinquante ans après sa mort, en 1429, avant de délivrer Orléans, , Jeanne d'Arc enverra à Marie de Laval, sa veuve, qui vit alors encore, un "bien petit anneau d'or". Par ce geste symbolique, elle signifiera que la chaîne brisée se reconstitue et que laFrance retrouve, en la personne d'un de ses enfants, son libérateur.